
Les baleines à bosse – ici en Antarctique – sont notamment connues pour leurs sauts extraordinaires hors de l’eau, en dépit de près de 30 tonnes pour 15 mètres de long. | DAVE HARVEY / FIONA HARVEY / AUSTRALIAN ANTARCTIC DIVISION
19 Mars 2019. La baleine à bosse (mégaptère ou jubarte) – humpback whale en anglais -, a de l’odorat et du goût. Alors que l’on pensait cette espèce de cétacés dépourvue de capacités olfactives ou gustatives, la découverte des chercheurs du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE, université de Montpellier et CNRS) pourrait avoir des applications externes à la biologie marine. Elle permettrait notamment d’identifier des molécules répulsives et d’éviter ainsi des collisions avec des navires.
L’article est paru le 26 février 2019 dans la revue scientifique en ligne PLOS ONE. Intitulé Behavioural responses of humpback whales to food-related chemical stimuli (Réponses comportementales des baleines à bosse aux stimuli chimiques liés à la nourriture), il est dû aux chercheurs Bertrand Bouchard, Jean-Yves Barnagaud, Marion Poupard, Hervé Glotin, Pauline Gauffier, Sara Torres Ortiz, Thomas J. Lisney, Sylvie Campagna, Marianne Rasmussen et Aurélie Célérier, pour la plupart attachés au CEFE.
On pensait que les mégaptères utilisaient la vue et l’ouïe pour repérer le krill. Ce petit crustacé vit en bancs serrés et constitue l’essentiel de leur nourriture. Après les expériences menées par l’équipe de biologistes dans une zone de reproduction (Madagascar) et deux zones d’alimentation (l’Islande et la Péninsule antarctique) des baleines à bosse, l’on sait désormais que celles-ci réagissent aussi aux signaux chimiques.
Aurélie Célérier, l’une des auteur(e) s de l’étude, précise : “ Nous avons mesuré les réponses comportementales des baleines à bosse face à deux stimuli chimiques liés à leur alimentation : la poudre de krill et le diméthylsulfure ou DMS, un composé chimique émis à la surface des aires de forte productivité marine qui pourrait constituer un indice indirect de présence de nourriture. ”

L’étude a porté sur trois populations de baleines à bosse, celles de l’Islande, de Madagascar et de l’Antarctique. | 2019 BOUCHARD ET AL.
Lors des expériences, les jubartes ont été attirées à plusieurs centaines de mètres par la poudre de krill, laquelle n’émet aucun bruit comparable au krill vivant. Elles en ont pourtant réalisé une exploration sensorielle approfondie, y passant du temps comme si elles étaient en quête de leurs proies, au moins en Islande et, dans une moindre mesure, à Madagascar, mais pas en Antarctique. A contrario, les substances de contrôle utilisées pour valider l’expérimentation – argile orange et huile végétale -, ont rarement interrompu la navigation des cétacés.
Si le DMS n’a pas entraîné de modification comportementale comparable à celles engendrées par la poudre de krill, notamment pas de plongée pour chasser, les deux produits ont affecté les vocalises des jubartes, comme l’ont révélé les études acoustiques de Madagascar. À propos d’acoustique, l’on sait depuis 2017 que la baleine à bosse et son petit chuchotent pour ne pas se faire repérer par les orques, suite à un article de la revue Functional Ecology .
La mise en évidence de cette réception chimique, en particulier via l’odorat, indique qu’elle est utilisée par les baleines à bosse dans la recherche de leur nourriture. Cela avait déjà été démontré pour d’autres prédateurs marins, notamment les oiseaux, mais c’est la première fois pour cette espèce. Ces sens pourraient bien être également employés dans le processus de sa navigation.
Des perspectives s’ouvriraient ainsi à côté des répulsifs acoustiques que l’on utilise pour préserver les cétacés et, du collaboratif, à l’instar du système REPCET en Méditerranée occidentale. Tant bien que mal, car les mammifères marins sont de plus en plus perturbés par le bruit que l’homme génère dans les océans avec les moteurs et les hélices de navires ou avec les sonars. Ceux à moyenne fréquence seraient la cause de nombreux échouages, particulièrement chez les baleines à bec.
Réf. : Bouchard B, Barnagaud J-Y, Poupard M, Glotin H, Gauffier P, Torres Ortiz S, et al. (2019) Behavioural responses of humpback whales to food-related chemical stimuli. PLoS ONE 14(2): e0212515. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0212515